Yves Béal est formateur et animateur d’ateliers d’écriture, écrivain, coordinateur du projet départemental « Jeunes poètes en Isère » et responsable des Rencontres Internationales des Ateliers d’écriture.
Voici le texte qu’il a écrit sur le “bizarre” :
Bizarre, cette brindille…
Regarde-ça. Tu crois que ce n’est qu’une brindille. Mais à quelle branche de quel arbre fut-elle accrochée ou pire arrachée. Et cette tache sur la nappe, salissure de tomate, grand cru ou vin de table, quoi encore.
Rien d’inquiétant à cette lézarde sur le mur, fente banale dans un quotidien qui s’altère. Et mon regard sur ces petites choses, tu ne le trouves pas bizarre, mon ange. Etre en refus de hasard au point de recevoir le point du jour comme un uppercut au visage et l’appoint demandé par l’épicier comme une marque de défiance.
Regarde-ça. Là où tu n’aperçois qu’un grain de riz sur le bord de l’assiette, je vois un ver immobile en attente d’une bouche innocente qui lui prête son ventre. Et là, ces bras qui s’agitent, de quel brasier ils s’alarment. Rien d’inquiétant à cette brise, haleine ordinaire qui ébranle si peu l’instant. Et ma voix de ces petites choses quand elle se fait filet de falsetto, faussaire, tu ne la trouves pas bizarre, mon ange. Etre en déni s’errance dans le bazar du monde et vouloir des barrières de peur de razzia de tendre.
Regarde-ça. Celui qui entre ou celle, que leur connais-tu d’intention et quel procès se profile avec quelles preuves. Qui est coupable, le gêneur qui dérange ou le gérant qui, ses boites de tout petits pois, range. Quel poids sur ma conscience lorsque j’enterre la demande en omettant de prononcer de la bonne façon le signe surmonté d’un point. Ne demeure à la surface qu’un pont d’interrogation. Et ma question à propos de ces petites choses, tu ne la trouves pas bizarre, mon ange. Etre en sueur, en nage, se ressentir nain dans la cour des géants et s’abriter à se briser dans la risée, la dérision.
Regarde-ça. Ces amants dans ce ténu d’intime unis à l’inutile, tu les penses à l’abri de la nuit dans leur nuit. Ils se pansent comme des chiens à coups de langue sur le poil. Rien ne fuit en apparence dans leur désir ; plongés au désert d’eux-mêmes, ils n’ont pas vu s’approcher la margelle du puits. Quelle est cette ouïe qui me prend le tympan de ces cris de noyés. Rien d’inquiétant à cette huile répandue sur la beauté d’un corps. Et ce décor de petites choses, tu ne le trouves pas bizarre, mon ange. Etre en kit d’assemblage ou de désassemblage, un puzzle irradié et quitter l’étiquette, faire fi du protocole, s’évader. Mais par où.
Yves Béal, février 2009