Texte de Danielle Martinigol (2005)
Vendredi 19 mai. Destination interplanétaire au
collège Pré-Bénit de Bourgoin Jallieu
la planète
Kanoa ! J'y ai rencontré une classe de quatrième qui avait
déjà longuement construit ce monde, son avenir menacé,
ses héros volontaires, Joy et Tomité, une journaliste fouineuse,
et des extra kanoiens vivant sur une planète jumelle
Tout
était passionnant, mais confus, mal construit, sans enchaînement
dans les différentes parties
Bref. J'ai pris mon sabre laser
et j'ai tranché dans le vif. Les paragraphes giclaient à
la poubelle, les phrases trop longues mouraient sous mes gestes rageurs,
les sentiments des personnages explosaient sous mon ironique décapage
Trois heures plus tard, Kanoa avait une vraie planète jumelle :
Aonak. La journaliste avait un prénom : Lola, les héros
avaient une histoire d'amour plausible et les élèves avaient
du
pain sur la planche galactique! J'ai apprécié ce travail
de collaboration avec ces auteurs en herbe. Je pense que les échanges
ont été fructueux et qu'après la première
réaction coléreuse : Mais elle démonte tout ce qu'on
a fait ! chacun a compris que rien ne vaut un bon écrémage
pour qu'un texte devienne digeste et palpitant.
" Bonne route aux Kanoiens et à leurs amis les Aonakiens.
"
Ainsi ai-je quitté la classe. Sur ces mots. Mais il reste la dernière
étape. Découvrir le résultat final. Et j'ai bien
hâte d'y arriver. Le futur ne manque jamais ses rendez-vous. J'y
serai en juillet pour celui que j'ai avec Kanoa et les quatrièmes
de Pré-Benit lorsqu'ils m'enverront leur texte. Que je lirai avec
grand plaisir.
(Mai 2006) Danielle Martinigol
Texte de Catherine Missonnier (2007)
Petit compte rendu de rencontres avec les collégiens des Avenières.
C'est vraiment une chance, je ne connaissais ni les Avenières,
ni le Bugey, ni leurs habitants. Les rencontres dans les écoles
et les collèges sont aussi une occasion de découvrir un
coin de France.
Dire que j'ai vécu trois ans à Lyon sans jamais venir jusqu'ici,
dans ces collines qui annoncent déjà la montagne, vertes,
douces, bienveillantes, au bord de ce Rhône qui était ce
jour-là aussi limpide et paisible qu'un lac, sur les flancs desquelles
se lovent de grandes belles maisons aux longs toits, que les tuiles d
'écailles épousent comme une peau.
Mais la plus heureuse surprise, ce furent les gens. Il y a aux Avenières,
autour des jeunes, des adultes, enseignants, bibliothécaires, documentalistes,
qui sont tellement investis dans le désir d'amener les enfants
à la lecture, que, non seulement ça marche, mais ça
suscite une curiosité pointue et insatiable. Je n'ai eu qu'à
surfer sur la vague qu'ils avaient su lever. Ces rencontres m'ont parues
trop courtes, ce qui n'arrive pas souvent dans notre vie d'auteur voyageur.
Mais le plus étonnant, ce fut la découverte de l'imaginaire
des enfants. " Si tu étais un héros, tu serais qui
? " leur avait demandé leur professeur. L'éventail
des réponses ravirait n'importe quel romancier. Pas de stéréotype,
pas de héros sorti tout droit des séries télé
ou des jeux vidéo, mais la projection, dans un animal, un être
humain, un " surhumain ", de leurs désirs, leurs craintes
cachées sans doute, leurs espoirs. Beaucoup avaient même
placé leur personnage dans une situation difficile ou stratégique,
comme dans tout bon début de roman.
Je pense que certains ne résisteront pas à la tentation
d'accompagner leur héros sur plusieurs pages.
C'était d'autant plus douloureux, après une journée
remplie de la vitalité et des aspirations de près d'une
centaine de jeunes, de visiter la toute proche maison d'Yzieu, où
presque autant d'enfants avaient été interdits d'avenir.
Texte de Françoise Jay (2007)
Trois petites gouttes de pluie
Trois petites gouttes de pluie
tapotent dans la nuit.
Trois petites fées
grelottent sous la pluie.
Trois petites amies
papotent sur le tapis.
Soudain, quelqu'un dit : au lit !
Les trois petites gouttes de pluie,
dans leur nuage trouvent un abri.
Les trois petites fées s'envolent dans le noir,
retrouver leurs histoires.
Les trois petites filles déjà presque endormies,
se glissent dans leur lit.
Illustration d'Olivier Ferra :
Texte de Sylvain Levey (16 Mai 2007)
Combien de zéro après le cinq?
50, 500, 5000,50 000,500 000, 5 000 000.
Six zéro après le cinq.
Six zéro après le cinq pour un an de travail.
Ca fait combien ça par mois?
416 666,66667 euros.
Ca fait combien ça par jour sur un mois de 31 jours?
13440, 86022 euros.
Ca fait combien ça par heure?
560, 0358425 euros
Même les heures de sommeil?
Même les heures de sommeil.
Ca fait combien par minute?
Dis ça fait combien?
9,333930708 euros.
Même quand il pisse?
Même quand il pisse
Une minute à pisser lui rapporte 9, 333930708 euros.
Ca vaut le coup de pisser.
Mors combien à la seconde?
0, 155565512 euros à chaque battement de cils
0, 155565512 euros à chaque battement de coeur.
Quand Gérard Houiller, entraîneur de football inspire
Il gagne 0,1555655 12 euros.
Quand Gérard Houiller, entraîneur de football expire
Il gagne 0,1555655 12 euros
Gérard Houiller quitte la France (Et Hallyday il revient quand
?) pour aller entraîner Kiev.
On sen fout A vrai dire on sen fout.
Dix personnes ont acheté mon livre « Ouasmok?»
Samedi dernier à Bourgoin Jaillieu.
Je suis resté cinq heures environ.
Je touche 0,50 centimes deuros par livres vendus
Ca fait combien. Dis. Ca fait combien ça?
Ca fait 5 euros.
De lheure ça fait combien ? Dis?
3333333333333333 de lheure.
Putain ! Vache!
Il va falloir faire des heures supplémentaires.
On sen fout à vrai dire. On sen fout. Samedi à
Bourgoin Jallieu il y avait lessentiel, de lhumanité,
du plaisir, du soleil, des sourires, de la générosité,
de la poésie. Yavait tout quoi!
Et chez vous Monsieur Gérard je sais plus comment yavait
quoi ce samedi là?
Texte d'Eric Boisset (2007)
La botte dAnnie
A Bourgoin-Jallieu, dans le cadre du Salon «A Livres ouverts»
qui se tient Halle Grenette, on peut visiter une exposition sur le thème
de Superphénix, la centrale nucléaire de CreysMalleville.
La pièce maîtresse de la collection est une botte de femme
en daim ornée de fleurettes et de perles de couleurs. Comme je
me tenais devant dans la vitrine où est exposée cette relique
incongrue, une inconnue maccosta:
-Cette botte vous intrigue ? Elle mappartient. Cest moi qui
en ai fait don au musée.
-Ah bon ? répliquai-je, surpris. Pourquoi ça?
La dame me regarda en faisant pétiller ses yeux bleus derrière
ses lunettes.
-Au mois de juillet 1977, sur le site Superphénix, de violentes
manifestations opposèrent les militants anti-nucléaire aux
forces de lordre. Je me trouvais en première ligne, hurlant
des slogans écologistes et brandissant des bouquets de fleurs composés
avec goût, lorsque des hélicoptères apparurent sur
la ligne dhorizon...
-Des hélicoptères ? mexclamai-je, incrédule
et presque effrayé.
-Oui, et des gros! Ils bourdonnaient dans la brume de chaleur comme dans
le générique dApocalypse Now...
-Ça a dû vous flanquer les chocottes...
-Pour sûr. On a pris la fuite à travers les maïs, poursuivis
par ces appareils qui volaient en rase-mottes en nous canardant avec des
grenades lacrymogènes...
-Parce quen plus, ils vous ont tiré dessus ? Cétait
la guerre, ma parole...
-Vous ne croyez pas si bien dire. Les champs venaient dêtre
arrosés, jai enfoncé ma botte dans la gadoue et ça
a fait ventouse : impossible de la ressortir ! Jétais si
paniquée que je lai abandonnée sur place et que jai
pris la fuite à cloche-pied vers mon salut. On sest caché
dans une étable et on a attendu la nuit pour sortir, grimés
en agriculteurs et armés de fourches, avec des seaux à lait
sur la tête en guise de casque. Je suis retourné dans le
champ pour essayer de récupérer ma botte, mais impossible
de la retrouver. Il faisait trop sombre, le champ était trop vaste,
les cadavres dactivistes abattus trop nombreux...
-Mieux vaut perdre sa botte que la vie, fis-je sottement remarquer.
-Vous êtes un petit comique, vous ? rétorqua-t-elle en me
foudroyant de son regard aigu. Après un temps, elle ajouta:
-Comme du coup, lautre botte ne métait plus daucune
utilité, j en ai fait don au musée...
Je remerciais la dame pour ses éclaircissements. Puis, je repris
ma visite, pensif et un peu perturbé. Des hélicoptères
! Des tirs tendus de grenades ! Il est vrai quà lépoque,
le gouvernement était de droite... Un peu plus loin, sous une cloche
de verre, il y avait un morceau de tissus distendu et maculé de
boue. Un monsieur au crin dru et à lhaleine chargée
maborda:
-Ce slip vous intrigue? éructa-t-il en malpaguant par la
manche. Il mappartient. Figurez vous quen juillet 1970...
EB
Quelques mots pour lAssociation Livres Ouverts
OUI, cent fois oui, à lincroyable bonheur de faire des livres,
doffrir cet élan dintimité qui va sen
aller chercher celui ou celle quon ne connaît pas. Si proche
ou si lointain. Dabord survient lidée, quelle
soit faite de pierre ou de vent, et puis sensuit ce que jaime
appeler le lent travail sous la lampe qui aboutira peut-être, ou
peut-être pas, ou seulement plus tard ... Pour écrire ceci
ou cela, il aura dabord fallut le temps de vivre et puis celui de
chercher ses mots, ses phrases, son tempo. Il aura fallu le temps de raturer,
de froisser, de déchirer, de laisser sentasser, de laisser
reposer, de se relire avant doser donner à lire. Je songe
souvent à la phrase de Jules Renard «Jaime à
lire comme boivent les poules, en relevant fréquemment la tête
pour laisser glisser ». Et bien écrire, pour moi, cest
pareil...
Quel rapport peut-il bien y avoir entre des carrossiers et des couturières?
Quest-ce qui peut réunir des ébénistes et des
chaudronniers, des mécaniciens auto et des menuisiers?
Réponse : la littérature, bien sûr.
Dans le cadre de la biennale du livre jeunesse "A livres ouverts
», jai eu le plaisir de rencontrer les élèves
du Lycée professionnel Jean-Claude Aubry et cela a été
une formidable expérience. Ils étaient plus dune cinquantaine
au total, des futurs artisans et techniciens, des jeunes que lon
prétend généralement fâchés avec les
livres, eh bien ils étaient là, présents, ils mont
accueilli à bras ouverts, avec chaleur et enthousiasme. Et non
seulement ils avaient lu, mais ils avaient également écrit:
des articles, des questionnaires, des bibliographies imaginaires, des
recettes de cuisine, des faits divers, des bestiaires, des critiques littéraires,
autant de rubriques formant un magazine complet, et tout ceci avec un
humour que naurait certainement pas renié un autre enfant
du pays, le plus fameux de leurs prédécesseurs : monsieur
Frédéric Dard.
Oui, tous ces jeunes gens mont bluffé et ravi. Par lintérêt
quils portaient à mes romans. Par la pertinence de leurs
questions et remarques. Par leur curiosité, leur réflexion
et leur engouement.
Je les en remercie. Jespère leur avoir rendu au moins une
partie de ce quils mont apporté.
Et puis merci aussi, encore une fois, aux documentalistes, aux bibliothécaires,
aux enseignants et à tous ceux qui oeuvrent pour que de telles
rencontres soient possibles. Pour que lon puisse longtemps continuer
à partager, à échanger, le coeur et lesprit
ouverts.
Texte de Jean Joubert : La résurgence
(2007)
Avec lâge, le poète Wang Tohou sétait
retiré loin du monde dans une humble cabane, sur une colline, au
bord du fleuve.
Il cultivait son petit potager, préparait ses repas, soignait son
chat. Il avait depuis longtemps renoncé à manger les créatures
de Dieu, et il se contentait de légumes, de graines et de fruits.
Très tôt levé, de sa terrasse il saluait le soleil,
les arbres, les fleurs, les oiseaux.
Son bonheur eût été parfait sil avait pu écrire,
comme dans la passé, mais le désir sétait évaporé.
Or, il le savait, et il le constatait de jour en jour un peu plus, on
nécrit pas de poésie sans désir.
Devant la page blanche, sur la table de sa cuisine, il attendait que se
lève le souffle des mots et des images, mais rien napparaissait,
et le courage lui manquait pour franchir le seuil invisible, qui lui eût
peutêtre donné accès au domaine merveilleux
dont il gardait la nostalgie.
Avec un soupir, il posait sa plume, rangeait dans un tiroir le papier
resté vierge, et, pour se divertir, se rendait au jardin, où
il soignait les plantes et parlait avec les oiseaux.
Le soir, de sa terrasse, il contemplait le soleil qui senfonçait,
immense et rouge, derrière les collines. Le fleuve, à ses
pieds, se teintait de pourpre. Sur le chemin, presque toujours désert,
ne savançait que la nuit.
Un dimanche matin, pourtant, alors quil venait, une fois de plus,
de constater que les mots du poème lavaient abandonné,
il vit Quune voiture sarrêtait sur le chemin, en bas
de la colline. Le portière sétant ouverte, une femme
en sortit et sengagea résolument sur le sentier qui montait
vers la cabane. Wang Tchou, immobile, la suivait des yeux, sétonnant
dune telle présence dans sa solitude.
Lorsque linconnue eut atteint la terrasse, elle répondit
dune inclinaison de la tête au salut qui lui était
adressé, et elle demanda:
Vous êtes bien le poète Wang Tchou, nestce
pas?
Oui
Comme je suis heureuse de vous avoir trouvé! Jai
lu tous vos livres. Depuis des années, ils maccompagnent.
Je les admire et je les aime. Ils me sont nécessaires. Or, il y
a bien longtemps que je nai rien découvert dont vous soyez
lauteur. Jai appris que vous aviez quitté la ville.
Pourquoi cette retraite et ce silence?
On nécrit pas sans désir, ditil. Or,
le désir ma quitté. Peutêtre, avec lêge,
la source estelle tarie.
Ne dites pas cela! Cette source a des eaux profondes et vous les
rejoindrez. Je voudrais que ma présence ici, ce matin, et ladmiration
que je vous porte, vous incite à écrire. Oui, je le souhaite,
de tout mon cur, et je crois que je possède ce pouvoir.
Wang Tohou regardait linconnue avec émotion. Bien qu
elle ne fût plus très jeune, elle avait préservé
une grâce et une beauté qui se lisaient tant dans son maintien
que sur son visage.
Croyezvous au pouvoir des femmes? demandatelle.
Certes! ditil. Elles nous donnent naissance, elles nous nourrissent,
elles nous aiment, elles nous soignent, elles nous accompagnent, elles
nous inspirent.
Eh bien, ditelle, écrivez! Je vous le demande, je
vous lordonne.
Il vit dans le regard tourné vers lui comme une sombre flamme,
et cest avec étonnement quil sentendit répondre:
Je vous écoute. Jessaierai.
Alors, je reviendrai dans une semaine, à la même heure,
cest promis.
Elle sinclina. Déjà elle séloignait.
Puis lauto disparut entre les deux collines.
Il resta longtemps immobile sur le banc, adossé au mur de la cabane.
Les yeux fermés, il percevait dans les profondeurs de son corps
et de son esprit, une sourde rumeur, un souffle ténu dabord,
mais peu à peu plus vif, comme une résurgence des mots et
des images qui lavaient déserté. Dans ce cas, il le
savait, dans cet état durgence, il ne fallait pas attendre.
Aussi, sans plus tarder, il se précipita dans la cabane et, semparant
de son stylo, il se mit à écrire.
Après une si longue éclipse, les poèmes surgissaient
avec une aisance singulière, et il avait tout juste le temps de
saisir au vol les haïkus: un art subtil et délicat que jadis
il avait beaucoup pratiqué.
Toute laprèsmidi, comme dans une transe, il ne cessa
décrire.
Lorsque le jour déclina, il alluma sa lampe, et, le papier étant
épuisé, cest dans la paume de sa main quil traça
le dernier poème.
Trente haïkus, belle moisson! se ditil avec bonheur.
Il se coucha et dormit dune traite, alors que, depuis des mois,
ses nuits fiévreuses étaient hachées dinsomnies.
Il séveilla dispos. Le jour déjà était
levé, et un soleil rouge illuminait les collines. Wang Tchou prépara
son thé, caressa le chat qui avait bondi sur ses genoux, puis,
son frugal déjeuner achevé, il se plongea avec impatience
dans le manuscrit. Il le relut, sétonnant une fois de plus
dun tel jaillissement de ces poèmes, si complexes dans leur
apparente simplicité que chacun deux, lorsqu il est
réussi, donne le sentiment dun petit miracle. Mais, après
tout, se ditil, pendant cette longue période de sécheresse,
ils avaient dû se former et saccumuler dans les profondeurs
de son esprit, pour jaillir tout à coup comme un geyser, qui brusquement
projette des eaux longtemps souterraines, puis retombe et disparaît.
Sans doute, le passage de cette femme, les paroles quelle avait
prononcées, lattente quelle avait manifestée,
avaientelles joué un rôle de catalyseur et provoqué
cette éruption de poèmes. Mystérieuses sont les voies
de la création!
Pourtant, à la relecture, dans le silence et la lumière
paisible du matin, il ne retrouva pas le sentiment dexaltation et
de plénitude qui lavait occupé la veille. Certes il
continuait de ressentir une certaine joie, mais il lui semblait que quelques
uns de ces poèmes ne possédaient plus le même charme,
comme ces fleurs si fragiles quen quelques heures, sans être
vraiment fanées, elles ont perdu de leur éclat. Cela dailleurs
nétait pas pour létonner, car, au cours de sa
longue vie littéraire, il en avait fait maintes fois lexpérience.
Après avoir quelque peu hésité, il élimina
six poèmes dans lesquels il ne percevait que trop linfluence
de Basht, Issa et Buson, qui jaais, dans sa jeunesse, avaient été
ses maîtres. Il songea que sil est permis au néophyte
de sinspirer des classiques, voire de les imiter, il ne sied pas
à un poète dâge mûr, ni surtout à
un vieux poète, de tomber dans ce qui est désormais un travers.
Bien sûr, dans son cas, il ne sagissait pas de plagiat, mais
de réminiscences, quil
ne jugeait pas moins déplorables.Non, se ditil, un
vieux poète nimite pas! Et, non sans une pointe de souffrance,
car, à leur manière, ces poèmes nétaient
pas sans beauté,
il les jeta dans le feu. Puis il se rendit dans son jardin et commença
à bêcher la terre, car on était au printemps, saison
des semailles et de lespérance.
Le soir, en proie à ce quil appelait une bonne fatigue, il
se coucha avec le soleil et ne tarda pas à sendormir.
Le lendemain, à son réveil, il songea quil lui restait
deux douzaines de poèmes, et que cétait un bon nombre,
après tout. Il pourrait en calligraphier quelques exemplaires,
sur papier de riz, et les orner daquarelles. La poésie, il
le savait, devait trouver, dans le monde tel quil était devenu,
des voies modestes et secrètes. Mais, comme il sapprêtait
à écrire, il saperçut que plusieurs de ses
poèmes lui paraissaient résolument obscurs) »Toute
poésie, dans son pouvoir de révélation, comporte
certes une part de mystère, se ditil, mais le mystère
à lui seul ne crée pas le poème, et, pour peu quil
sépaississe, il nest plus quun masque prétentieux
sur le vide du cur et de la pensée. »
Après mûre réflexion, et midi étant venu, il
déchira huit poèmes.
Laprèsmidi, dans le jardin quil avait préparé
la veille, il tira quelques sillons et y sema des fèves et des
pois. Enfin, assis sous un cerisier, il contempla les branches chargées
de fleurs comme dune neige parfumée. Quelques abeilles qui
butinaient, avec un doux bourdonnement, tournaient autour de lui; et il
songea quelles étaient comme des mots émouvants qui
soffrent au poète, pour peu quil
sache les saisir. Oui, un autre poème aurait pu naître, dans
la tiédeur €t la paix du jour. Mais, à peine effleuré,
il sévanouit. Wang Tohou se prit à rêver: Ny
atil pas, quelque part, des Limbes où demeurent, dans
une bruine lumineuse, les poèmes mortsnés, ceux qui
au moment de prendre forme se sont mystérieusement évaporés?
Alors ce devait être dans quelque verger, au coeur dune vallée
perdue.
Le matin suivant, et cétait mercredi, Wang Tchou fut éveillé
par le bruit léger des gouttes sur le toit. Cette pluie était
la bienvenue pour le jardin; et pour le jardinier ce serait jour de repos.
Alors quil se disposait à nouveau à calligraphier
les poèmes, il les lut à haute voix, à plusieurs
reprises, pour en éprouver le rythme et lharmonie. La poésie
nestelle pas musique avant toute chose? Or, ça
et là, soudain il percevait un grincement, un hiatus, une fausse
note. Il biffa, gomma, chercha des mots qui fussent à la fois mélodieux
et justes. Dur labeur! au risque parfois dendommager plutôt
que de parfaire.
Vers le soir, quatre poèmes, chiffonnés, allèrent
rejoindre dans lâtre les tisons.
Jeudi. La pluie avait cessé, et le soleil levant illuminait le
cerisier en fleurs.
Alors que Wang Tchou achevait sa première tasse de thé,
un oiseau vint heurter la vitre, une mésange, qui, quelques secondes,
resta comme éberluée, avant de reprendre son vol. Le chat
sétait dressé, tendu, prêt à bondir.
Puis, déçu, il se coucha et ferma les yeux.
Douze poèmes, cest un bon compte, se dit Wang. On
vend les ufs à la douzaine; alors pourquoi pas les poèmes?
Mais il est vrai que les poèmes ne se vendent pas, ou si mal! Dans
ce monde où tout se monnaie, ils ont encore grâce doffrande.
Je les offrirai à cette femme: sagefemme en quelque sorte,
qui favorisa leur naissance. Pour linstant, laissons les reposer,
ou fautil dire: se décanter? Comme un vin que lon va
servir.
Emoustillé par cette métaphore, et Omar Khayyâm en
tête, qui célébra avec génie les épousailles
du vin et des poètes, il alla tirer dun recoin qui lui servait
de cave une bouteille, et se versa un verre. A la santé
des poètes! ditil, et, dhumeur joyeuse, renonçant
ce jourlà à travailler sur les mots, il alla tailler
quelques pieds de vigne, à la lisière de son jardin.
Pourquoi lhumeur comme le temps sontils si variables? Le lendemain,
qui était un vendredi, Wang fut envahi par de sombres pensées,
aussi sombres que le ciel, ce matinlà chargé de gros
nuages immobiles. Et cest dun il critique, impitoyable,
quil examina les poèmes rescapés. Quelques uns dentre
eux, habiles certes, harmonieux, ciselés, manquaient pourtant de
coeur, de cette charge démotion vécue, transmise par
le langage et les images du poème. Or, sans émotion, malgré
ce que prétendent certains cuistres, il nest pas de vrai
poème. Rien quimposture, illusion et simulacre!
Dans la lancée, il élimina, non sans quelques hésitations
et regrets, six poèmes. Six autres demeuraient, indemnes, épargnés.
Maigre moisson! se ditil, et mince sera loffrande.
Mais ce nest pas au poids que la poésie se mesure. Mieux
vaut un seul poème, achevé, émouvant, mémorable,
que cent, deux cents, trois cents pages de plates approximations. Ferveur
et rigueur sont les deux mamelles de lart!
Le chat miaulait sur le seuil, que, dans son égarement, il avait
oublié de nourrir. Il lui versa du lait, et, distraitement lui
accorda une caresse. Triste journée! Déjà la nuit
rampait sur les collines.
Le samedi souvrit dans la grisaille. Un vent aigre soufflait du
nord, si bien que Wang, écartant les braises, ranima le feu sans
tarder. A nouveau, il sentit que remontaient en lui les idées noires.
Cependant il prépara le papier, lencre, les plumes. Puis,
lorsque tout fut prêt, il fut saisi de lassitude.
Pourquoi écrire, se ditil, pourquoi risquer le poème
dans un monde indifférent, où même dans le meilleur
des cas, le lecteur ne prête à nos paroles quune attention
fugace. De notre longue quête, il ne restera sans doute nulle trace.
Tout passe, séloigne, disparaît comme leau de
ce fleuve; et peutêtre -- nestce que justice,
car seule la perfection mérite de survivre. Oui, je pourrais citer
quelques parfaits poèmes que des génies nous ont légués,
mais je me sens moimême infirme, indigne; et sans la perfection,
qui me fuit, rien ne peut me satisfaire. Alors, à quoi bon?
Sapprochant de lâtre, il allait jeter dans las flammes
les six poèmes, lorsquau dernier instant il se ravisa, épargnant
lun dentre eux, le plus bref, et certes pas le meilleur, se
ditil, mais celui qui, à sa manière, hasardait une
réponse. Il le calligraphia aussitôt :
Dans la caverne,
dans la nuit,
lultime fleur: le silence.
Voilà, songeatil, tout est dit! Et il posa la feuille
sur
la table de sa cuisine, près du chat endormi.
Reviendraitelle comme promis la visiteuse? Rien de moins sûr.
Peu importait dailleurs.
Gomme si le mot final du poème lavait apaisé, Wang
sétait assis sur la terrasse, dans le soleil renaissant de
ce dimanche matin. Le ciel sétait purifié. Du cerisier
en fleurs tombait une neige de pétales.
Vers les dix heures, il vit la voiture apparaître entre les collines,
puis sarrêter au bord du fleuve. La dame en descendit, et,
dun pas agile, gravit le sentier. Arrivée sur la terrasse,
elle répondit au salut de Wang Tchou dun sourire et dune
inclinaison de la tète.
Eh bien, ditelle, vous voyez, je suis venue. Quavezvous
à me dire? Le miracle atil eu lieu?
Jai cherché, toute la semaine.
Et quavezvous trouvé?
Pout et rien, ditil. Presque rien. Cela.
Et il lui tendit le dernier poème.
Layant lu, elle leva vers lui des yeux où il ne perçut
ni déception ni désapprobation ni tristesse. Il ny
avait dans son regard quune sereine beauté: celle que lon
prête au regard des déesses.
Je lai gardé pour vous, ditil. Tout le reste
à peu à peu disparu. Vous me comprenez?
Oui, je vous comprends. Merci. Ce message, je le respecte. Je le
glisserai entre vos uvres, dans ma bibliothèque. Elles demeurent,
ne craignez rien.
Elle lui tendit une main, quil serra avec émotion. Puis,
se détournant, elle descendit le sentier vers le fleuve. Sa voiture
bientôt disparut entre les collines. Wang resta assis au soleil,
sur le banc, adossé au mur de la cabane.
Gomme le monde est beau, songeatil: cet arbre en fleur, cette
neige parfumée, cet oiseau qui plane au dessus du fleuve, la tiédeur
de lair, le bourdonnement des abeilles. Tout cela mest donné.
Ah, merveille! Il ny a rien à dire.
Le chat, dun bond, était venu sinstaller sur ses genoux.
Wang posa une main sur sa fourrure et ferma les yeux. Maintenant il ne
lui restait plus quà oublier le dernier poème.
Histoire de la souris qui mangeait les chats (2007) :
Un enfant me dit:
Tu sais, jai lu lhistoire du petit garçon qui mordait
les chiens. Cest toi oui las écrite?
Non, ce nest pas moi, mais en revanche je peux te raconter
lhistoire de la souris qui mangeait les chats.
Il était une fois une jeune souris très gourmande, nommée
Avida, qui vivait dans le grenier du fermier Sac ha.
Elle y aurait été très heureuse si, dans cette ferme,
il ny avait eu les sept chats du fermier Sacha.
Le plus gros sappelait Golia. Il avait la dent dure et faisait des
ravages dans le peuple des souris.
Avida détestait Golia, et elle jura de sen débarrasser.
Quand la moisson fut terminée et le grenier rempli de blé,
elle mangea, mangea, mangea pendant trois jours et trois nuits, si bien
que son corps senfla, et quelle devint aussi grosse quun
hippopotame dAfrique.
Entre deux tas de blé elle se coucha, ouvrit une gueule aussi grande
quun four à pain, et attendit.
Au matin Golia se réveille. A la chasse! se dit il,
ça remue dans le grenier. Allons voir ce quil sy passe!
Il monte dans le grenier, voit un grand trou noir au milieu, se précipite,
sy engouffre.
La souris ferme ses mâchoires, et, dun seul coup, mange le
chat. Elle croque le chat Golia, crache les poils, crache les os.
Décidément jaime les chats, se ditelle, ils
ont bon goût! Et, les jours suivants, elle mange les six autres
chats de Sacha.
Elle était énorme, Avida!
Que pensezvous quil arriva?
Ce fut le plancher qui creva!
La maxisouris se trouva
sur la paille de lécurie.
Le fermier Sacha la vendit
à un zoo comme phénomène.
Là, on la montre aux badauds
et chaque jour on la nourrit
dune douzaine de chats bien gros
pris aux gouttières du pays.
Moralité
A Avida longue vie.
A bas les chats!
Vivent les souris?